L'association Aréthuse et Cigarette


Carnet de bord - partie 1

La baie d'Arguin, et le désert jusqu'au premier village

Le raid en kayak

Kayak au Banc d'Arguin, Mauritanie - Traversée Nord-Sud - Mars 2000

 

Jeudi 9 mars



La morne et désespérante plage de Tachekche - 60 km sans relief, dans une athmosphère sableuse.r

Ca y est, nous sommes dans le pétrin. Un détail technique et tout s'arrête, le grain de sable dans l'engrenage. Le réchaud en rade ; plus de réchaud, plus de bouffe. Plus de bouffe, plus de raid. La tuile. Et loin de tout, ici sur la presqu'ile du cap d'Arguin, à une journée de pagaie du continent ou du village d'Agadir. Et après nous ne serions pas encore arrivés.

Reprenons.

Arrivée à Atar samedi dernier, le 4. Voiture jusqu'à Nouakchott; les superbes paysages de l'Adrar se dévoilent difficilement dans une brume de poussière ultra fine. 36°C. Il fait chaud pour une fin d'hiver, et la piste utilisée pour le charter ressemble à un aérodrome de province à l'abandon; le poste de police aussi. Pas de douane, tant mieux.
Accueillis comme à la maison à Nouakchott par Haroun. Merci Alain.

Deux jours ne sont pas de trop à NKT pour les courses, la voiture et surtout les contacts avec le PNBA. Les gens du parc nous chaperonnent, tant mieux, nous allons être accueillis partout, ça fait plaisir. Dernier repas avec Dominique Artignan et Jean Worms (PNBA). J'espère que le financement d'un projet sur les tortues par la Fondation Total (un de nos sponsors potentiel) marchera, ça nous permettra de les remercier. Rémi C. a le dossier en main, ça roule. Dernière révision technique aussi, avec Antonio, conservateur du parc.

Départ à 4h du matin. Petite irrégularité de la part d'Europcar. Le directeur nous fourgue son berger à déposer dans le Tijirit. Après avoir vu sa famille (région de Boutilimit), ce gars-là retourne garder les chameaux pendant 1 an, 1 an ½!! Et juste avant la Tabaski, la Pâques musulmane! Après avoir pointé dans tous les postes du parc nous voici à pied d'oeuvre à Tachekche.

Une cabane en tôle dans un univers désespérément plat, la plage, rectiligne d'un coté, une maigrelette trace de voiture de l'autre côté. Vent de sable. Qui fait courrir le sable sur le sol. La voiture nous laisse dans le chaud, le sable, le plat, un soleil blafard. Pas une ombre.
Rien.


Bivouac au Ras Agadir.

Mercredi 8 mars



M'Barek, le chef d'Agadir, en compagnie d'un représentant de la Marine mauritanienne

Enfin le départ, le vent a baissé à la fin de la nuit. Après 1h1/2, première halte à Agadir, où nous retrouvons M'Barek, le chef de village. Un court salut, de loin, à sa mère M'Barka, une énorme montagne de femme, trônant au milieu du village sous sa paillote.
C'est elle qui m'avait accueilli il y a 2 ans, les hommes partis à la pêche, harcelé de question: un toubab en kayak, rouge de surcroît, dans une zone protégée?!
Les gens disent aussi que c'est elle qui a fait le village tel qu'il est maintenant , qu'elle l'a construit, ou presque.


Le village d'Agadir

Les choses ont beaucoup changé depuis 2 ans. Une éolienne, 2 antennes télé, la VHF alimentée par des panneaux solaires, une vedette de la Marine nationale pour la surveillance du parc. Et une dizaine d'embarcations -pirogues à moteur du port de pêche artisanale de Nouadhibou- arraisonnées.

 

Fin de la journée. Ambiance surréaliste entre ciel et mer, sans visibilité, tout est bleu, sable, avec un soleil blafard prenant la teinte de son environnement bleuté. Quelques grands dauphins en maraude chassent autour de nous: sauts violents, respiration bruyante. Sentiment d'angoisse au bout d'une heure sans voir la côte. La brume soulevée par les vents de sable qui soufflent depuis un mois masquet tout. La côte devrait-être là, juste là, mais où?


Nous passons la nuit à proximité d'un cordon de dunes dans la baie d'Arguin. Nuit tranquille. Le réchaud broute.
A l'aube, un chacal nous rend visite alors que nous chargeons le kayak. Peu de vent, nord, marée descendante pour 2-3 heures encore. Nous partons. Un petit ballet d'ailerons -requins?- nous dépasse. Ca chasse de tous les cotés. Le soleil dévoile le chapelet de barkhanes qui s'étend jusqu'au fond de la baie. Beau voyage jusqu'au cap d'Arguin et premier essai, concluant, des voiles.

3 heures que nous sommes arrivés au cap d'Arguin, et 2 heures que je démonte et nettoie le réchaud: injecteur, alimentation, filtrage de l'essence, pompe. C'est la pompe. C'est reparti. Et il nous lâche de nouveau entre le premier et le deuxième verre de thé. La zone. La Zone intégrale. Pas de réchaud, pas de repas; pas de repas, pas de raid. La Zone. Nous sommes plantés dans un des coins les plus paumés du Banc d'Arguin, Nous avons soulevé des montagnes pour en arriver là, et voilà, plantés!


Vendredi 10 mars

Finalement on a réussi à faire redémarrer le réchaud. Et à pêcher. Bar moucheté et silure (60 cm, s'il vous plait!), temps calme, un bivouac splendide au bout de cette langue de sable.

Retour à Agadir, contre le vent, 15 km. Belle mer, belles vagues, pas mal d'écume pour un petit force 4.
Pause sur une langue de vase, perdue en mer à 3-4 km de toute terre, au milieu du chenal entre les îles Marguerite et Agadir.
Longue, longue remontée de l'île vers le nord, vers le village à contre-vent. On croise une lanche à voile: c'était Alain et Myriam, mais on ne le saura que 2 jours plus tard.
Salut à M'Barek et aux gars de la marine. Des gens de Nouadhibou viennent rechercher leur pirogue. Puis retour à Tachekche, 5 km toujours à contre-vent .

 

Samedi 11 mars

Aller-retour sur le camp du Tasiast. Heureusement: force 4-5 à midi. Nuages de sable. On ne voit rien, on ne respire plus.
Pierre est venu nous chercher au " petit " matin, et Alain nous repose le lendemain matin.


Tempête de sable dans le Tasiast

Mardi 14 mars


Enfin une halte au cap Tagarit. 2 jours ½ à batailler contre cette immense plage (50 km) de Tachekche à Tanoudert. Beaucoup de vent. 4 parfois 5, toujours en crabe, un kayak parfois à plus de 45° de la plage.
Les couleurs se fondent, le vent soulève une espèce de brume, bleue sur la mer, jaune sur la terre. La terre se meut dans le ciel, la plage rouge-ocre brille sous les rouleaux, la terre disparaît dans l'atmosphère sableuse. Et nous ramons d'arrache-pied, parmi les petites vagues serrées et moutonnantes de ces hauts-fonds. Le vent de terre nous amènent des bouffées de chaleur, auxquelles s'ajoute un soleil de plomb.
Coup de bambou, Rémi est assommé, s'endort même, et pourtant il faut s'arracher, effacer cette interminable plage.
Les premières rafales nous réveillent le matin et nous laissent en milieu d'après-midi. Le calme de la soirée, par contraste avec la violence de la journée nous stupéfait, puis nous apaise.
Un bivouac au cap Elsass, au coin du feu. Calme, l'immensité du pays nous acculant à celle de la mer, le ciel au-dessus de nous, et la lune qu'on peut voir depuis quelques jours.

Le Cap Elsass, calme et tranquille

Ce vent auquel j'espérais échapper. La dominance, nord-est, devait nous pousser en partie. Raté. Depuis 4 jours, depuis le cap d'Arguin, il nous brise. Le jour le plus dur étant, heureusement, celui passé sur le camp dans le Tasiast avec Alain, Pierre, Eric et les géologues de l'ORMG. C'est aux étapes les plus longues, aux moments les plus engagés, où il nous aura pris, à contre!
Mais pas de véritable tempête ( force <5) heureusement. Le test est passé, nous ferons le trajet dans des temps meilleurs que ceux prévus.

Les temps de repos nous permettent d'apprécier ces grandes lignes ocres et bleues qui se déroulent, un cap de sable où se brisent quelques petits rouleaux, quelques oiseaux qui nous regardent passer, dubitatifs ou indifférents, du haut de leurs échasses, un côtre de pêcheurs allant à Agadir, une pirogue de braconniers, curieux, un orque, tout aussi curieux.
Ce dernier avait attiré mon attention par son aileron conséquent arrivant droit sur nous. Disparu devant. Réapparu derrière. Trop gros pour un dauphin, ou pour un requin. Sa tache blanche sur un museau plat, soutenu par une carure de lutteur, une respiration bruyante, et une curiosité un peu trop proche pour moi : un aileron devant, puis derrière, un souffle de cétacé à droite, 20 m puis 10 m et moins. Curieusement, Rémi ne réagit pas plus que pour un dauphin. Et pourtant. Je me demande comment il nous perçoit sous l'eau : un corps noir et lisse, plat de 5 mètres de long et 80 cm de large, un aileron de queue en aluminium de 40 cm… Comme un dauphin, ou un petit déjeuner, par exemple… Il nous laisse aller discuter à loisirs sur la plage de la pertinence de sa présence sous ces latitudes, de sa réalité, de l'imaginaire des individus, etc…
Les braconniers, eux, nous ont surpris à terre. " Ca va ? Pas de problème ? " Une grande pirogue, une quinzaine de mètres, immatriculée à Nouakchott, fibre de verre, moteur embarqué, glacières, filets, casiers… Curiosité suspicieuse des deux côtés. Des gêneurs, nous, des illégaux, eux. Chacun s'en va, n'a rien vu, n'a rien entendu.


Pause le long des barkhanes

 

La dernière journée nous arrache avant l'aube, du cap Elsass, contre le vent, puis calme, plus tôt que d'habitude. Enfin sur une longue transversale ouest-est, un petit vent arrière nous permet de sortir les voiles. Les barkhanes défilent tranquillement, et 6-7 km plus loin, nous reprenons sous la lune, dans un calme d'huile, les pagaies pour une petite heure de nuit. Nous nous posons à 2-3 km de la cabane de Tanoudert.
Le long, le dur, l'engagé est passé. Une petite étape nous attend pour rejoindre le Cap Tagarit, puis le cap Tafarit, Le village d'Arkheis, Taleb, la raïma et un repos consolateur : dorades grillées, poisson séché rapé sucré, légumes, du beau riz.


Arrivée à Tagarit

 

Que dire de plus que vous ne pourriez deviner de ces deux caps, Tafarit et Tagari ? Que leurs belles falaises aux formes torturées et fragiles rompent avec la monotonie habituelle de la grande plage de Tachekche. Que le village d'Arkheis avec sa station radar trônant sur le cap Tafarit annonce le début des zones habitées. Que tourner le cap Tagarit, c'est passer une étape et accéder à la deuxième partie du voyage. Le vent s'est calmé en passant ce cap, il va nous pousser même. Et maintenant vont se succéder jusqu'à Iouik : caps, villages, vasières, îles, dans de courtes étapes. Une grande paresse assortie d'un bon soulagement nous prend. Le crux est passé et le désert cesse sa constante pression. Il ne nous rejette plus ni en arrière ni à la mer, il ne nous écrase plus. Les dangers objectifs, et subjectifs sont terminés.
Fin. Deuxième Partie.

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